Le Graal de Verlaine
Voici un poème de Verlaine intitulé Saint Graal, écrit en 1888:
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- À Léon Bloy.
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- Parfois je sens, mourant des temps où nous vivons,
- Mon immense douleur s'enivrer d'espérance.
- En vain l'heure honteuse ouvre des trous profonds,
- En vain bâillent sous nous les désastres sans fonds
- Pour engloutir l'abus de notre âpre souffrance,
- Le sang de Jésus-Christ ruisselle sur France.
- Le précieux Sang coule à flots de ses autels
- Non encor renversés, et coulerait encore
- Le fussent-ils, et quand nos malheurs seraient tels
- Que les plus forts, cédant à ces effrois mortels,
- Eux-mêmes subiraient la loi qui déshonore,
- De l'ombre des cachots il jaillirait encore.
- Il coulerait encor des pierres des cachots,
- Descellerait l'horreur des ciments, doux et rouge
- Suintement, torrent patient d'oraisons,
- D'expiation forte et de bonnes raisons
- Contre les lâchetés et les « feux sur qui bouge ! »
- Et toute guillotine et cette Gueuse rouge !...
- Torrent d'amour du Dieu d'amour et de douceur,
- Fût-ce parmi l'horreur de ce monde moqueur,
- Fleuve rafraîchissant de feu qui désaltère,
- Source vive où s'en vient ressusciter le coeur
- Même de l'assassin, même de l'adultère,
- Salut de la patrie, ô sang qui désaltère !
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